ARTEFACT (Fr)

(english here)
Artefact est un projet conçu par Dragos Tara et issu de ses diverses collaborations avec le duo 1+1 (Anne Gillot : flûtes à bec, Laurent Estoppey : saxophones).

Cette collaboration est marquée par l’identité de 1+1, un anti-duo qui ne joue que comme deux instruments séparés ou comme un seul instrument (intégralement à l’unisson).

Les projets communs de Dragos Tara et de 1+1 empruntent autant à l’écriture qu’à l’improvisation et donnent une place particulière à l’électronique.

Les relations sonores et scéniques entre ce duo défait et l’électronique sont à l’origine d’une série de pièces musicales réunies sous le nom d’Artefacts.

Les scénettes sonores et visuelles d'Artefact plongent le duo dans des situations musicales à une époque où le terme réalité virtuelle est entré dans le langage courant. :

On assiste à une sorte de dialogue dilaté, comme un chat de quelques secondes étiré sur une heure. Ils ne sont pas en confrontation directe mais communiquent via l'électronique live et sont confrontés à leur propre image (enregistrement sonore et vidéo).

L’acteur principal en est le duo 1+1, immergé dans le son tout comme le public par un dispositif de haut-parleurs environnants.

La narratrice de ce projet est Florence Foster Jenkins, milliardaire américaine excentrique convaincue d’être une grande voix lyrique malgré les ricanements de la critique et du public. Elle est décédée en 1944. Les enregistrements de ses concerts des années 40 au Carnegie Hall sont utilisés comme une voix-off.

Pour ce projet, l’envie est apparue de prolonger ces relations sonores par des supports visuels. Le travail vidéo de Nicole Seiler faisant écho à cette thématique, un élargissement de la collaboration a vu le jour.

Au premier plan
Le spectateur est plongé dans le son par des haut-parleurs disséminés dans la salle ainsi que par des situations scéniques parfois décentrées: sur les côtés, derrière ou parmi le public.

Dans cet environnement, le dialogue est le plus souvent rompu: la flûte à bec communique avec l'enregistrement sonore ou vidéo du saxophone. L'électronique live récupère des informations d'un des instrumentistes pour parasiter le son de l'autre. Ainsi, dans Choses (scène 3 du synopsis), la flûte joue avec un enregistrement, tout en étant elle-même enregistrée. Puis le saxophone joue avec ce nouvel enregistrement et est lui-même enregistré, et ainsi de suite….
Les enregistrements de Florence Foster Jenkins, présents à travers tout le spectacle, font ressortir la rupture de communication, comme un narrateur peut nous distancier de l'action dramatique.



La qualité de ces bandes (gramophones des années 40 numérisés) crée au premier abord une distance, et les rend reconnaissables même après manipulation sonore. L'absence évidente de voix et d'oreille de Florence Foster Jenkins, millionnaire excentrique convaincue d'être une grande voix lyrique et chantant au milieu de ses fantasmes, crée également cette distance


Mais la distance se réduit au fur et à mesure que les manipulations électroniques déforment la bande sonore. La bande suit le chemin inverse des instruments. Elle gagne en présence réelle au fur et à mesure qu'elle est manipulée, devient masse sonore en mouvement tandis que l'on perd la référence de l'enregistrement.

Elle s'impose dans l'environnement des instruments, comme dans Stratégies (cf Scène2 du synopsis), duel entre la flûte à bec et les enregistrements pour pouvoir accéder à une diffusion large, occupant l'espace sonore.


Stratégie de la faille

Les parasites du son sont au centre de la composition, s'inspirant des traitements électroniques qui ont un effet corrosif audible sur les instruments et les enregistrements.

Cette musique de bugs déborde de l'électronique et contamine le son des instruments, inspirant leurs modes de jeux.

La diffusion sonore suit le même chemin utilisant des haut-parleurs de qualités diverses, exploités pour leurs particularités, parfois pour leurs défauts. Les espaces acoustiques sont la prolongation de la scénographie dans le monde des sons.

La vidéo

Divers moyens de diffusion sont employés: projecteurs vidéo et télévisions.

Les musiciens eux-mêmes servent de matériau de départ ou de support: Ils sont enregistrés et peuvent être projetés sur eux-mêmes ou l'un sur l'autre. Un instrument et une image d'instrument se superposent alors pour se mêler ou se confronter.



Les répétitions, ainsi que les discussions de préparation sont également filmées et mêlées au spectacle.







A l'arrière-plan


Le projet d’Artefact est de mettre en scène l’illusion, comme un personnage en soi, de jouer avec les degrés de réalisme d'une représentation musicale.

Définitions

Artefact: parasite, perturbation due aux techniques d’observation. Au sens large, l'artefact est un phénomène produit (généralement involontairement) par l'observateur et qui s'intercale entre lui et l'objet de son observation.

En technologie du son, l'artefact désigne l'altération involontaire d'un son résultant de manipulations sonores. Cette idée de parasitage de l'observation peut s'appliquer à toute représentation scénique lorsque celle-ci se présente comme un reflet de la réalité. Le degré de réalisme de la représentation se traduit alors par la quantité d'artefacts qui "entrent dans le jeu" (consciemment ou non).

Virtuel: Qui a les qualités du réel sans en faire partie

Dans les zones intermédiaires entre la réalité et l’illusion dans laquelle les artefacts font voyager le spectateur, les objets ne font pas partie du réel mais en ont les qualités, ou en imitent certains aspects. Un spectacle visuel ou sonore nous confronte à cette réalité décalée, d'un autre ordre. En terme de virtualité sonore, le studio d'enregistrement et de mixage a changé quelque chose dans notre écoute, a dissocié le son de sa source réelle.

Dans le cadre d'un concert, l'électronique en direct, par la transformation du son et la simulation d'espaces acoustiques, joue avec ces mêmes codes. Si certaines manipulations sonores nous font oublier que nous sommes en présence d'une bande enregistrée ou d'un instrument réel transformé, d'autres manipulations nous le rappellent.